Jean-Martin Fortier au festival des «Oui mais… »

The food movement has a problem: It’s right about what’s wrong with our system, but wrong about how to fix it. 1

Tamar Haspel

Pourquoi s’en prendre à Jean-Martin Fortier?

Beaucoup ont été irrités par le ton de mon dernier texte et ont questionné la pertinence de s’attarder au cas de l’agriculteur-vedette Jean-Martin Fortier(JMF). Pourquoi s’attaquer à quelqu’un plein de bonnes intentions et qui tente de proposer une solution aux problèmes de l’agriculture moderne? Pourquoi le caricaturer en faux prophète alors que sa mission semble si noble et vertueuse? Parce que la bonne volonté devrait pas nous mettre à l’abri des critiques. Personellement, je trouve que le discours de JMF incarne à la perfection tout ce qui cloche dans nos discussions sur le monde agricole, rien de moins.

Au fait, quel est son message? Je laisse JMF vous l’expliquer dans ses mots: « Ma mission, je la résume simplement{…} il faut remplacer l’agriculture industrielle chimique, y’a pas d’autre façon de la nommer. Celle qui pollue nos campagnes pis qui nourrit à mon avis très mal les gens. Pis remplacer ça par quelque chose de beau. Remplacer par une agriculture paysanne, une agriculture vivrière.»(Jean-Martin Fortier, Question d’intérêt, Gérard Filion. 15 avril 2020).  

Cela a le mérite d’être clair, les gentils contre les méchants. Dans une entrevue qu’on peut voir sur YouTube, JMF explique que lorsqu’il était allé présenter ses idées en France la première fois, il avait été agacé par la réaction des gens avec leur: oui, mais… oui, mais…à chaque solution qu’il proposait. Qu’aurait-il voulu? Que l’on boive ses paroles de prophète? La vie est une suite de festivals des ‘’oui, mais…’’ et, en agriculture, les têtes d’affiche sont nombreuses et diversifiées. Oui, JMF nous propose parfois de belles solutions, oui il met parfois le doigt sur certaines dérives de l’agriculture moderne et oui, sa présence médiatique a permis à beaucoup de gens de commencer à s’intéresser à l’agriculture. Oui, tout ça est vrai, mais… 

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La fausse révolution sera télévisée

Les médias et les journalistes ont fait la promotion du Triomphalisme Fortien. On nous a vendu une belle histoire et on en a même fait une télé-réalité, c’est dire. On a cru à cette ‘’masse d’agriculteurs’’ qui viendrait remplacer ‘’l’agriculture de masse’’ lorsqu’on atteindrait ce ‘’tipping point’’ une fois que la méthode Fortier aurait suffisamment essaimé pour pouvoir enfin remplacer le ‘’poison et la destruction de l’agriculture industrielle’’. C’est un beau conte, jusqu’à ce qu’on regarde de plus près les chiffres et la réalité, deux paramètres qui ont généralement la fâcheuse habitude de scrapper nos illusions.

D’abord les chiffres: Le Québec possède 3,3 millions d’hectares de terre agricole. Sans les terres boisées ou humides et les 400 000 hectares de pâturage et de jachère, il nous reste 1,9 million d’hectares(M ha) de terres cultivées. De ces 1.9 M ha, 5% sont consacrés à la culture maraîchère,un terme qui, curieusement, englobe aussi les arbres de Noël, les pépinières et la culture de gazon. De ce 95 000 hectares(5% de 1.9M ha), 37 300 servent à la culture des légumes. De cette superficie, environ 1000 hectares sont en production biologique. Ces fermes bio sont évidemment bien différentes en terme de tailles, de types de légumes et de marchés. De ces 1000 hectares combien sont en culture sous un modèle qui ressemble à celui ‘’conçu’’ par JMF?2 Difficile à dire, mais soyons généreux et imaginons que ce sont 50% de ces champs. On se retrouve donc avec 500 hectares de ferme Fortienne.   500 hectares!!!   Sur 1.9 millions d’hectares en culture, ça représente quoi? C’est exact, 0.026% du paysage agricole. Pourquoi à chaque fois qu’on nous parle d’agriculture dans nos médias faut-il inviter la mascotte qui ne représente que 0.026%3 de ce qu’est l’agriculture québécoise?  

Pas d’ami avec la salade

 

Le problème avec les légumes, c’est que ça ne sert à rien

Mais il y a un début à tout n’est-ce pas? Le 0.026% deviendra 1% puis 10% et un jour on franchira le ‘’tipping point’’ qui nous fera basculer pour atteindre rapidement 100% de terres agricoles en modèle Fortien. Est-ce possible? Après les chiffres, voyons la réalité.

Aujourd’hui, avec 63% de la population canadienne en situation d’embonpoint et avec  les produits faibles en calories qui ont la cote, il est facile d’oublier que le but principal de l’agriculture nourricière est bien de nous fournir les calories essentielles à notre survie. Lorsque Jean-Martin Fortier prétend nourrir 200 personnes avec son hectare, on se demande bien quelle est sa définition de nourrir. Si, par exemple, on s’alimentait exclusivement de maïs, qui est la plante la plus productive jamais créée, un hectare fournirait les calories nécessaires pour 40 personnes. Par contre, pour une alimentation convenable et variée, un hectare peut nourrir entre 0,1 et 10 personnes selon la région, diète, rendement, etc. On ne maintient pas 200 personnes en vie avec 1 hectare, surtout pas avec du mesclun et des radis. N’essayez pas combler vos besoins caloriques quotidiens avec de la verdure, vous finirez intoxiqué à l’acide oxalique à vous tordre de douleur dans votre vomi bien avant d’avoir satisfait une fraction de vos besoins nutritionnels.  

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Les médias ont la fâcheuse habitude d’opposer les types d’agriculture comme bonne et mauvaise. On nous présente généralement d’énormes moissonneuses-batteuses récoltant un grain quelconque pour représenter les désastres de l’agriculture industrielle. Puis viennent des images de petites fermes maraîchères, la solution de rechange à première vue plus écolo à l’agriculture moderne  »destructive ». Le problème avec cette dichotomie, c’est que jamais l’une ne pourra venir remplacer l’autre. L’homme ne peut survivre en mangeant uniquement des légumes, encore moins avec ceux qui  poussent à La Ferme des Quatre-Temps. Tôt ou tard, il faut consommer des protéines, des lipides et des glucides. On aura alors besoin de grains, de légumineuses, de viande ou de produits laitiers. On peut bien évidemment débattre des meilleures mode de production de ces calories, mais les solutions nécessiteront toutes plus ou moins une approche industrielle, c’est à dire mécanisée et en monoculture.

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Même si l’on doublait notre consommation de légumes, ce qui n’arrivera pas de sitôt, et que l’on produisait tout biologiquement et localement, on aurait grosso modo3 225 000 hectares de légumes soit 10% des terres agricoles. Révolution Fortienne ou non, cela importe bien peu. Ce sont les autre 90% des terres agricoles qui méritent notre attention. C’est l’amélioration de nos pratiques sur ces millions d’hectares qui, en fin de compte, aura une influence réelle sur l’impact de nos pratiques agroalimentaires. Évidemment, il serait bien de réduire la demande de maïs et de soya pour ainsi permettre aux agriculteurs de diversifier le paysage agricole. Cependant, ce ne seraient pas vraiment les petites fermes maraîchères qui vendraient remplacer ces champs, mais bien d’autres grandes cultures mécanisées riche en calories telles le sarrasin, le blé, les légumineuses, le fourrage,etc. 

Je souhaite et je crois que le nombre de fermes fortiennes ira croissant. Cependant, il s’agit de produit de niche pour lesquels la demande est restreinte: Il y a, en effet, une limite au nombre de restaurant haut de gamme qu’une ville peut soutenir. Il y a une limite à la quantité de radis et de mescluns qu’une population peut manger. Il y a une limite à la clientèle prête ou capable de payer entre 30 et 200% plus cher pour leurs légumes. Cette limite sera-elle atteinte à 2% des terres agricoles ou 15%? Difficile à dire. Une chose est certaine, cela restera toujours marginal.

Il est évidemment positif que l’engouement pour les petites fermes, grâce entre autre à JMF, ait permis de remplir les salles des écoles d’agriculture ces dernières années. Cependant, avec un âge moyen des agriculteurs québécois de 53 ans, nous aurons besoin dans les années à venir d’une relève dynamique et créative et pas seulement en maraîcher. Voilà pourquoi j’aimerais que des personnages comme JMF cessent de diaboliser tout ce qui n’est pas conforme à leur vision bien simpliste de ce que devrait être l’agriculture. Est-ce que les millions de dollars que ses cours en ligne et ses livres lui rapportent l’aideraient à s’auto aveugler et à croire à la croissance infinie de sa solution miracle? Je comprends JMF de vouloir profiter au maximum des projecteurs que lui offre le panurgisme médiatique québécois. Cette attention est bien pratique pour vendre sa salade et je parles pas de légumes ici(scusez-la). Par contre, son message simpliste et manichéen n’aide en rien pour aligner notre monde agricole vers le mieux.

‘’On s’en fout de nourrir le monde’’

Bien que son modèle de ferme ressemble souvent à un réchauffé des années 70 revisité avec un filtre Instagram, JMF a tout de même réussi à titiller l’intérêt de bien des gens pour les question agroalimentaires. Pour ça, je lui lève mon chapeau. D’une certaine manière, il a raison de dire qu’au fond on s’en fout de nourrir le monde. La condition sine qua non d’un agriculteur c’est d’être rentable. Si pour lui cela signifie approvisionner en verdure les restos et les marchés des gens aisés, tant mieux. Cependant, il ne faut pas oublier que la deuxième priorité du monde agricole est tout de même de fournir des calories abordables à l’ensemble de l’humanité. Voilà pourquoi JMF et les médias devraient essayer de comprendre les contraintes et les réalités des agriculteurs qui cultivent 99.974% des autres hectares agricoles de la province.  Qui sait, peut-être découvriraient-ils d’autres agriculteurs qui eux aussi, mais avec des approches différentes, travaillent à tout les jours pour améliorer tranquillement le monde agricole.

Mais, mais, mais…d’accord, les petites fermes maraîchères ne sont pas une solution applicable à l’ensemble des production agricole. Par contre, pour ce qui est du maraîcher, ne devrions-nous pas produire nos fruits et nos légumes en petite ferme locale et biologique? Ça dépend, c’est compliqué, mais c’est assez pour aujourd’hui. À suivre…

Même mon petit 64 pied carré fournit souvent trop de meslcun pour la demande du triplex

1:désolé pour l’anglais, je n’ai pas trouvé d’équivalent français pour food movement. Il est important de mentionner que ce texte a plus ou moins déjà été écrit par Tamar Haspel. La plupart de mes idées sont tirées de ses textes.

2: Ma définition du modèle Fortien: ferme qui cultive biologique sur une petite superficie des légumes à grande valeur monétaire comme le mesclun, le radis, le kale et les tomates. Une bonne partie du chiffre d’affaires provient des ventes aux restaurants (plus ou moins 50%). Le reste du chiffre d’affaires vient des paniers livrés en ville et en  kiosque au marché fermier(style Marché Jean-Talon). Ils doivent généralement compléter leur offre par des produits achetés à d’autres producteurs plus spécialisés.

3. Si quelqu’un est capable de me donner des chiffres plus précis, je suis preneur. Est-ce que je sous-estime ou surestime la quantité d’hectares de ces fermes? Peut-être. C’est peut-être 0.020 ou 0.1 ou alors même 1% selon la définition que l’on se fait du modèle fortien. Cela dit, que je me trompe dans des ordre de grandeur de 10x, les arguments que j’avance restent valables.

4. Grosso modo prend tout son sens ici. Difficile de calculer selon la différence de rendement entre bio et non, perte de rendement selon la latitude, le gaspillage de produits périssables, etc. Mais encore une fois, même à 100 000 hectares près, l’argument demeure valide.

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