Mathieu, Pierre et Manon1 seront déçus ce matin en parcourant leur journal. Ils apprendront que l’Union européenne a renouvelé l’autorisation de vente et d’utilisation du glyphosate, cet herbicide qui soulève les passions, pour une période de cinq ans. « Complot corporatiste », dira le premier, « Effritement de la démocratie », affirmera le second et « Ça a ti du bons sens! », concluera cette dernière.
Tous les éléments d’une bonne histoire y sont: Monsanto, une compagnie antipathique à souhait, le glyphosate, un produit »probablement cancérigène » et les pauvres consommateurs victimes non consentantes. Il y a aussi ce journaliste « d’enquête » qui a révélé l’existence des Monsanto papers dans lesquels on apprend qu’une multinationale finance des recherches et essaie d’influencer l’opinion publique. Wow! Gros scoop!. Comme si ce phénomène n’était pas déjà très répandu en recherche, on fait de cette information un véritableWatergate médiatique. La crainte s’installe à mesure que les articles-chocs et sans nuance inondent nos médias sociaux. La population européenne n’aspire qu’à une chose : le bannissement pur et simple du glyphosate.
Quel beau sujet de discussion pour le souper que Pierre a organisé ce soir avec ses collègues de l’université ! On parlera pesticide, perturbateur endocrinien, génotoxicité et autres concepts fédérateurs entre gens de bonne volonté, qui dispensent de tout esprit critique. Le vin servi aux convives sera évidemment bio afin d’éviter de s’empoisonner avec les 10 parties par milliard (ppm) d’un produit « probablement » cancérigène (le glyphosate) tout en oubliant bien sur que cette bouteille, toute bio qu’elle soit, contient plus de 100 millions de ppm d’un produit reconnu cancérigène : l’alcool. Allez les copains trinquez à la cohérence! Vous pourrez toujours blâmer les sulfites pour votre mal de tête du lendemain.
Depuis que Manon a fait le tour des bons films de fiction sur Netflix, elle a dû se rabattre sur la section documentaires. Elle n’a pas été dépaysée, car elle y a retrouvé une structure narrative assez similaire: un méchant, des gentils qui ont une une stratégie simple et efficace pour vaincre le méchant et une finale heureuse et porteuse d’espoir. La solution est pourtant évidente, se dit Manon : plus de bien et moins de mal. Il fallait y penser!!.
Depuis que Mathieu a aussi visionné ces documentaires, il estime que son expertise en nutrition et en agriculture est suffisante pour pontifier à gauche et à droite. Soyons beaux joueurs, il a quand même passé l’été précédent « au B-C » à faire du « woofing », bien « bâtté ». Son socle de connaissances agronomiques est solide et l’autorise à avoir des tonnes d’opinions formatées. Du moins, assez pour savoir que Monsanto = méchant et que le glygo..phus…heu..glygopa… En tout cas, le Roundup c’est « fucking » toxique. Heureusement qu’il roule ses cigarettes dans du papier bio, là au moins Monsanto ne pourra pas l’empoisonner. D’ailleurs, comme il est végétalien et ne mange pas d’oeufs, il peut se permettre quelques cigarettes par jour. Ça aussi, il l’a appris sur Netflix (voir What the health).
Panique générale chez Manon ce matin : elle vient de voir sur Facebook que le jus d’orange qu’elle donne à son rejeton pourrait contenir des traces de glyphosate. Sans même terminer le premier paragraphe de l’article, elle s’empresse de jeter le liquide toxique dans l’évier. Mais Manon, pourrais je te demander pourquoi une mère ferait commencer la journée de son petit joufflu avec 30 grammes de sucre? Haaa, mais oui j’oubliais : c’est du sucre N-A-T-U-R-E-L.
Pour être juste, il faut reconnaître à Mathieu, Manon et Pierre des raisons de s’inquiéter . Après tout, on leur a bien dit que le glyphosate est probablement cancérigène. « On », étant rien de moins que le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) , il n’y a pas à en douter. Pourtant, aucun autre organisme de santé publique dans le monde n’a emboîté le pas au CIRC ? Troublant? Pas le moins du monde : c’est la preuve qu’ils ont tous été corrompus par la diabolique Monsanto . Attardons-nous sur ce fameux rapport du CIRC. Grosso modo, il repose sur 5 études de cohorte prospectives, , 20 études de cas-témoin rétrospectives ( moins fiables que les études de cohorte) et plusieurs études expérimentales chez les animaux (toujours à prendre avec des pincettes). Bilan? Les 5 études de cohortes n’ont pas permis de mettre en évidence quoi que ce soit en ce qui a trait à la cancérogénicité du glyphosate. Dans seulement 4 des 20 études de cas-témoins, les auteurs mentionnaient une corrélation (lien indéterminé et non pas lien de causalité) entre glyphosate et cancer. Mentionnons, à cet égard, que le chercheur responsable d’une de ces 4 études s’est rétracté à la suite d’une révision de l’étude par un comité de lecture. Restent les études chez l’animal réalisées avec des doses massives de de glyphosate (modus operandi normal pour ce genre d’études) qui ont établi un lien de causalité. Gardons en tête que pour exposer un humain à de telles concentrations, il faudrait lui faire ingérer des dizaines de tonnes de fruits et légumes par jour. Ça fait beaucoup de pointes de pizza ça! Même pour Mathieu en trip de bouffe.
Je sais, Manon: du poison c’est du poison. Oui, mais non. Comme dit l’autre : le poison est dans la dose. Mathieu, tout en tirant une poffe sur ton joint, tu me diras que tu préfères choisir tes poisons. Je dirai « faireenof » en levant les yeux au ciel. Toi Pierre, tu ajouteras: …..la bioaccumulation et l’interaction entre tous les poisons à faible dose, tu en fais quoi ? Je te répondrai : bravo Pierre, enfin quelque chose d’intelligent. Mais j’y pense, cette soupe chimique dans laquelle nous baignons ne porte pas que la signature de Monsanto la maudite. Pourquoi s’acharner sur cet herbicide, pour le moment, si essentiel à notre agriculture pour mieux éviter de parler sérieusement de problèmes beaucoup plus inquiétants ? Genre : pourquoi nos villes sont-elles toujours traversées par des autoroutes? Après tout, la pollution de l’air par les particules émises par la circulation automobile serait une des premières causes de décès liés au cancer (selon la vénérable Organisation mondiale de la santé). Ne faudrait-il pas agir rapidement? Bien sûr, mais cela impliquerait, Manon, que tu changes radicalement ton mode de vie et tes déplacements. Tu me répondras alors : « Ben là tsé, ok, mais quand même là tsé, faut pas non plus heu tsé.» Bon point, Manon, très bon point.
Revenons à ce fameux rapport du CIRC. Ah non pas encore? Mais oui encore, mais restez avec moi et je vais vous parler de petits chatons sous peu (yéééé des chatons). Ce qu’il fallait surtout conclure de ce rapport c’est qu’il indiquait le danger associé au glyphosate et non le risque. De quessé? C’est pas du pareil au même? Eh bien non. Un chaton qui te tombe sur la tête à 350 km/h c’est franchement très dangereux, mais quels sont les risques que ça t’arrive? D’accord, je n’ai pas épluché la littérature scientifique à ce sujet, mais je dirais qu’ils sont faibles. Donc au lieu d’interdire les ti-chats pourquoi ne pas interdire de ‘balancer ces amours d’un avion ? Oui, le rapport du CIRC nous apprend que le glyphosate à forte dose, « pourrait » causer le cancer. Non, il ne nous dit pas si notre exposition actuelle et habituelle représente un risque . Si vous jugez inutile de faire la distinction, n’oubliez pas de lever les yeux vers le ciel la prochaine fois que vous verrez un chaton dans la rue. On ne sait jamais! . Par contre, »varger » sur le minou à coup de pelle pour s’assurer qu’il ne vous blesse pas un jour semblerait une réponse inappropriée aux autres passants. Je comprends que pour un activiste, un politicien ou une ONG, il soit plus gagnant d’attaquer Monsanto au lieu des chatons, mais un minimum de cohérence serait apprécié.
Par ailleurs, les média nous ont appris que Christopher Portier, le principal conseiller du CIRC pour ce rapport, recevait à ce moment-là un salaire versé par un organisme opposé aux pesticides. Après le dépôt du rapport, il aurait empoché un montant de 160 000$ versé par des cabinets d’avocats qui s’occupaient de poursuites contre qui…..? Bravo, la réponse est bien : Mosanto. Pas net, net, ça mon Chris. Mais, allez, on efface l’ardoise parce que, après tout, tu es du côté des gentils.
On utilise 800 000 tonnes de glyphosate par an dans le monde. Celle-là, je te l’accorde Manon: ça fait peur. Mais pourquoi en utilisons-nous autant? Il faudrait peut-être le demander aux agriculteurs et aux agronomes. (tiens ,drôle d’idée!!! ). La réponse: c’est un produit extrêmement efficace, bon marché et ,jusqu’à preuve du contraire, peu toxique pour l’environnement et l’humain. Je sais, Pierre, certaines plantes résistances aux herbicides ont fait leur apparition et on observe à certains endroits une baisse de rentabilité. Cependant je ne peux m’empêcher de penser que si ces phénomènes étaient si répandus, nous n’aurions pas cette discussion : les agriculteurs ne l’utiliseraient tout simplement plus. N’est ce pas?
Je vais vous étonner : malgré tout ce qui précède, je suis comme vous Manon, Mathieu et Pierre. Je souhaite qu’on en arrive à pratiquer une agronomie et une agriculture saines et raisonnée.Cependant, en agriculture, comme souvent dans la vie, choisir c’est faire un un compromis et le manichéisme, bien que moralement réconfortant, peut mener à de graves errements comme adopter un remède pire que la maladie. Si vos inquiétudes ne sont pas sans fondements, sommes-nous d’accord pour dire que nos décisions de société doivent être basées sur les connaissances scientifiques actuelles et non sur la peur et l’intuition? Il faut s’assurer que le coût humain, environnemental et économique des mesures envisagées pour diminuer le risque ne soit pas disproportionné par rapport aux bénéfices attendus.
Ben oui, interdire le glyphosate prématurément (avant d’avoir une bonne solution de rechange) comporterait des risques non négligeables.
Quel serait le produit de remplacement? Serait-t-il plus ou moins nocif ? Et non, svp Mathieu, ne me parle pas de produit naturel parce qu’il n’y a pas de différence fondamentale entre une molécule naturelle ou de synthèse et cela ne dit rien sur son degré d’innocuité.
Devrions-nous retourner au labourage intensif des champs pour lutter contre les mauvaises herbes? Je sais que l’image d’un cheval et d’une charrue est plus rassurante que celle d’un fermier habillé comme s’il manipulait du plutonium et en train d’appliquer dans ses champs une vapeur suspecte. Pourtant, pourtant, le labourage intensif est une catastrophe environnementale incomparable à l’application de glyphosate (l’application d’un herbicide permet le semis direct sans labourage). Le labourage perturbe gravement la vie biologique des sols, accélère l’érosion et provoque l’émission d’une quantité phénoménale de CO2 en raison de l’oxydation de l’humus.
La disparition de ce produit miracle engendrerait des coûts supplémentaires pour nos agriculteurs. Il faudrait prévoir des baisses de rentabilité d’une ampleur imprévisible pour les producteurs et donc une hausse des prix pour les consommateurs. Je sais, Pierre, que pour toi ça ne serait pas vraiment un problème et que Manon pourrait compenser cette dépense supplémentaire en annulant ses vacances d’hiver à Punta Coco. Mais qu’en serait-il alors des gens, ici et ailleurs, qui consacrent déjà une forte proportion de leur revenu à se nourrir ? Et, non Mathieu, le dumpster diving n’est pas vraiment envisageable comme solution à grande échelle.
Qui sait, peut-être demain la science vous donnera-t-elle en partie raison sur le risque associé au glyphosate.. On dénoncera sans doute alors l’hypocrisie et la corruption de nos politiciens au lieu de parler de l’avancement des connaissances scientifiques. On se dira que le manque de rigueur des journalistes, la démagogie de certaines ONG environnementales et les campagnes de peur dans les médias sociaux de l’époque n’étaient finalement qu’un mal nécessaire pour arriver à de nobles fins. Peut-être, mais alors mes amis ne venez pas pleurer dans mes bras quand l’extrême-droite, les anti-vaccination, les anti-immigration ou les climatosceptiques de ce monde utilisent ces mêmes tactiques douteuses pour faire avancer leur idéologie.
Mon texte manque de nuances et tourne les coins rond? Bien d’accord. Malheureusement c’est ce qu’on partage sur nos réseaux sociaux et c’est ce qui influence maintenant nos politiques et choix de société. Hé, bienvenue dans l’âge de la science Facebook.
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