La commission Européen a tranché ce lundi 27 novembre pour un renouvellement de 5 ans de l’herbicide Glyphosate. Ce résultat est loin de clore la discorde et on peut croire que les positions se polariseront davantage dans les années à venir. Pourquoi donc toutes ces tergiversations? La réponse est inquiétante, mais bien représentative de notre époque.
À la lumière de plus de 3 300 études sur l’utilisation du glyphosate, tous les grands organismes mondiaux en santé publique en sont venus à la conclusion qu’il était peu probable que ce produit pose un risque pour la santé humaine. Tous sauf un : le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC). Son rapport a évidemment semé la crainte dans la population. Mais le pire était à venir. Début octobre 2017, le journal Le monde exposait le scandale des ‘‘Mosanto paper » : Mosanto, la compagnie qui a obtenu l’homologation du glyphosate en 1974, aurait utilisé des rédacteurs fantômes (ghostwriters) à plusieurs reprises et deux études du fameux rapport de la EFSA sur le glyphosate seraient en fait un »copié-collé » des travaux de cette multinationale. Le clan proglyphosate s’empressait alors de révéler à son tour dans les »Portiers Papers » la présence de conflits d’intérêts dans l’équipe du CIRC. Pourquoi déchirer sa chemise? Nous vivons dans un monde où le lobbying, les auteurs fantômes et les conflits d’intérêts sont omniprésents et ce phénomène ,bien qu’inquiétant, ne devrait plus surprendre personne. Cependant, n’oublions pas qu’en science un conflit d’intérêts,s’il est clairement indiqué, ne remet pas automatiquement en cause la validité de la recherche. Il devrait nous inciter non pas à dénigrer l’auteur sans autre forme de procès, mais plutôt à nous interroger sur la valeur et la pertinence des données, de la méthodologie, des analyses statistiques et des conclusions.
Mais au fait, que contenait ce fameux rapport du CIRC? Après analyse, pas grand-chose. le rapport se base sur 5 études de cohortes prospectives(généralement considéré plus fiable), 20 études de cas-témoin rétrospectives(généralement considéré moins fiable) et plusieurs études faites sur les animaux(bien pour nous mettre sur des pistes, rien de plus). Les 5 études de cohortes n’ont rien trouvé. Pour les 20 études cas-témoins, seulement 4 ont trouvé des associations significatives entre glyphosate et cancer, dont une que l’auteur a démentie après révision. Pour ce qui est des études sur les animaux, elles ont été faites à dose massive impossible en situation réel. Quoi qu’il en soit, le fond du problème est ailleurs.
En effet, si , à la suite d’un revirement spectaculaire, la totalité des organismes de santé publique se rangeait derrière la conclusion du CIRC, le glyphosate se retrouverait dans la catégorie »probablement cancérigène » en compagnie de la viande rouge, des boissons chaudes et des légumes fermentés. Bref, un produit dont on connaitrait le danger probable, mais non le risque (risque = danger x expositions). Les sociétés industrialisées, dont l’Europe, se sont fixé des barèmes pour encadrer l’utilisation des produits chimiques en fonction de leur toxicité et du risque qu’il pose. N’est-il pas incohérent d’interdire le glyphosate alors que d’autres produits réputés plus toxiques et risqués ne le sont pas. C’est le deux poids, deux mesures qui agace ici. En sommes-nous arrivés à ne plus tenir compte des données scientifiques et à nier en bloc toute crédibilité aux organismes et institutions dont nous nous sommes dotés pour plutôt accorder notre confiance aux documentaires et aux articles-chocs qui nous confortent dans nos peurs? La science spectacle n’est pourtant pas meilleure conseillère que la science sous influence corporatiste.
Évidemment, ces inquiétudes ne sont pas tout infondées. Toutefois, nos décisions de société doivent se baser sur les connaissances scientifiques actuelles pour s’assurer que les coûts des mesures (au sens large) nécessaires à la diminution du risque ne doivent pas être disproportionnés par rapport aux bénéfices attendus. Envisageons donc l’hypothèse que la communauté scientifique se tromper au sujet du glyphosate. Ne serait-il pas sage alors d’appliquer le principe de précaution? D’accord, mais à quoi ressemblerait alors une société post-glyphosate. Le produit de remplacement serait-t-il moins ou plus dangereux pour la santé et l’environnement? À court terme, il faudrait prévoir des baisses de rentabilité d’une ampleur imprévisible pour les producteurs et donc une hausse des prix pour les consommateurs. Qu’en serait-il alors des gens, ici et ailleurs, qui consacrent déjà une forte proportion de leur revenu à se nourrir?
Dans une autre perspective, le glyphosate à probablement certains effet néfaste à cours terme sur l’activité biologique des sols, mais cet herbicide a permis de populariser le semis direct en champ par opposition au labourage traditionnel, une pratique éminemment plus problématique (érosion, santé des sols, émission de CO2). Ainsi, selon une étude publiée en 2015, le semis direct en combinaison avec le glyphosate aurait permis d’éviter l’émission de 18.5 millions de tonnes de CO2 entre 1996 et 2013 seulement. Voulons-nous faire une croix sur ce bénéfice?
Pour le moment, les données disponibles ne justifient pas l’urgence d’interdire le glyphosate et nous ne pourrons pas faire l’économie d’un arbitrage éclairé afin de s’assurer que le remède ne soit pas pire que la maladie. Évidemment, nous devons réduire radicalement l’utilisation des pesticides et rendre notre système agricole plus écologique et sain, mais le débat doit reposer sur les données probantes disponibles à ce jour. Les questions agroalimentaires sont tellement plus complexes et les réponses tellement plus nuancées- et pas toujours intuitives- que ce que Twitter et Facebook veulent nous faire croire.
Le glyphosate est utilisé depuis 40 ans de façon massive et a été étudié plus qu’aucun autre herbicide. Partons de ce constat pour aller vers le mieux et laisser tranquillement le moins bien derrière nous.Trouvons les solutions de rechange et outillons nos agriculteurs pour améliorer et changer leurs pratiques agricoles, mais débattre d’une prolongation limitée ou d’une interdiction du Glyphosate revient à mettre la charrue devant les bœufs.
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