Le texte d’Yves Castera paru dans les pages du Devoir de mercredi et qui oppose agriculture biologique et conventionnelle est un bon exemple des clichés trop souvent véhiculés par les gens, certes, de bonne volonté, mais dont le discours manichéen ne rend service à personne. À la lecture du titre: Pesticide : l’ère des compromis est dépassée1, on pouvait d’emblée conclure que la table était mise pour un texte vertueux et sans nuance. En agriculture, comme en toute chose, tout choix est compromis. Il y a le moins bien et le mieux et il faut tendre vers le mieux. Arrêtons d’opposer agriculture biologique à conventionnel, car ils sont complémentaires.
Les agriculteurs et les agronomes »traditionnels » doivent enrager de se faire dépeindre constamment comme des pantins/esclaves des compagnies agrochimiques. Nos agriculteurs ne choisissent pas l’agriculture industrielle guidés par «la peur et le manque de formation» ou par ignorance de ce qui se fait ailleurs. Si la « population portée par l’éveil social » allait à la rencontre de la nouvelle génération d’agriculteurs, de professeurs et d’agronomes « traditionnels », elle y trouverait des gens informés, passionnés et critiques. De nos jours, l’importance des mycorhizes, du dépistage des parasites et des maladies et du recours aux insectes prédateurs est une des premières choses qu’on apprend dans les écoles d’agriculture et d’agronomie bio ou pas. Les agriculteurs ont appris à privilégier la lutte intégrée en amont plutôt que de s’en remettre principalement aux pesticides, des intrants dont ils ont avantage à limiter l’utilisation étant donné leur coût.
Tout agriculteur moderne est conscient de l’importance de la vie biologique des sols et des problématiques associées à l’érosion des terres. C’est pourquoi on favorise de plus en plus le semi-direct et l’utilisation d’herbicides pour limiter au maximum le labourage des champs. En effet, le labourage anéantit la vie biologique, favorise l’érosion et se traduit par l’émission d’une quantité phénoménale de CO2 en raison de l’oxydation de l’humus. Ainsi, selon une étude publiée en 2015, le semis direct en combinaison avec le glyphosate aurait permis d’éviter l’émission de 18.5 millions de tonnes de CO2 entre 1996 et 2013 seulement.
Autre point de la dichotomie agriculture bio/traditionnelle : la nature des traitements, soit le chimique versus le naturel. Il faut savoir qu’il n’y a aucune différence fondamentale entre une molécule dite naturelle ou synthétique et que le caractère naturel n’est pas un gage d’innocuité. En effet, la nature produit des molécules hautement toxiques et dangereuses. Ainsi, jusqu’en 2011, on autorisait l’utilisation de la roténone en agriculture biologique jusqu’à ce qu’on découvre que cette molécule produite par certaines plantes était hautement toxique et augmentait les risques de Parkinson. Par ailleurs, les produits biologiques utilisés en gestion parasitaire se dégradent généralement plus rapidement dans l’environnement. Une bonne affaire? Peut-être pas puisque cela nécessite des applications répétées. Ce qui entraîne des coûts supplémentaires et peut accélérer le développement de résistances au pesticide sans pour autant être toujours moins toxique. On ne peut pas faire d’agriculture sans traitements et il n’y a pas d’efficacité sans inconvénient. Tout choix est un compromis.
Cessons d’être alarmistes. Non, nos produits agricoles ne sont pas des poisons. Certes, il y a un faible risque que certains produits que nous utilisons en agriculture soient toxiques, mais le risque est présent dans les deux types d’agriculture. Nous voulons des agriculteurs qui pratiquent une agriculture raisonnée et non idéologique et réconfortante. Les bonnes comme les mauvaises pratiques se retrouvent dans les deux mondes et c’est pourquoi l’échange d’information et l’éducation sont primordiaux pour faire progresser nos méthodes de culture.
L’intérêt grandissant pour l’agriculture biologique est très encourageant. L’importance d’une nutrition et d’un environnement sains s’impose de plus en plus dans nos modes d’alimentation. On peut certainement remercier le mouvement biologique pour cette prise de conscience qui mobilise la « population à exercer une pression publique sur nos gouvernements ». Mais de grâce, évitons les discours démagogiques qu’ils soient de bonne ou de mauvaise foi. Ni voyous, ni incompétents, les agriculteurs « traditionnels » utilisent simplement les meilleurs outils à leur disposition pour nourrir la planète et en retirer un revenu décent. La culture biologique convient à certains agriculteurs parce que leurs cultures, le climat et leur marché s’y prêtent. Cependant, dans l’état actuel des choses, prétendre qu’elle est LA solution pour tous c’est ignorer la réalité agricole mondiale.
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