Le président américain Dwight D. Eisenhower disait que faire de l’agriculture semble bien facile quand la charrue est un crayon et qu’on se trouve à mille milles d’un champ de maïs. Cette phrase m’est revenue en tête à la lecture de « Pesticides : biocide ou plan de sortie » (Le Devoir, 24 août 2018). Toujours étonnant de voir des gens, a priori rompus à l’esprit scientifique et impliqués de près ou de loin dans le domaine agricole, avoir une vision si manichéenne et tranchée des problèmes et des défis de l’agroalimentaire mondial.
Bien que le mot toxicité revienne trois fois dans le texte, les auteurs ne semblent pas comprendre le concept général de ce terme.Pourquoi exactement les compagnies nieraient-elles la toxicité de leurs produits phytosanitaires alors que c’est spécifiquement pour cette raison qu’ils les vendent ? Ces produits phytosanitaires sont vendus précisément pour leur toxicité envers les insectes nuisibles, les mauvaises herbes, les champignons et autres pathogènes. Est-il intrinsèquement répréhensible de vouloir limiter les insectes nuisibles et les adventices dans nos champs ? Les auteurs pensent-ils qu’il existe (ou qu’on trouvera à court terme) une solution de rechange efficace pour chacune des cultures et productions ? Quoi qu’il en soit, lorsqu’on utilise le concept de toxicité, on doit le caractériser : degré de toxicité, quelle exposition à quelle molécule, etc. Il ne faut jamais oublier la distinction fondamentale entre danger et risque. Enfin, il peut être périlleux de citer des chiffres relatifs à la quantité ou à l’augmentation d’utilisation en kilos sans savoir quels pesticides sont répandus sur quelle surface et surtout sans parler de toxicité relative des ingrédients actifs.
Mettre tous les pesticides et taux d’exposition dans le même panier en ce qui a trait à la santé humaine risque de stériliser le débat : une fois les pesticides associés au cancer, à l’infertilité et aux effets tératogènes dans l’opinion publique, il deviendra ardu de poursuivre la discussion de manière rigoureuse et nuancée. Par exemple, s’il est vrai que 200 000 décès sont imputables chaque année aux pesticides (rapport de l’ONU), il serait pertinent de mentionner qu’environ 90% de ces morts sont des suicides par ingestion. C’est inacceptable, c’est tragique et ça illustre un des dysfonctionnements de l’agriculture moderne, mais ça ne renseigne en rien sur les risques associés à l’utilisation conforme de ces produits.
Dans le monde agricole, de plus en plus rares sont ceux qui croient encore acceptable le statu quo ou qui nient la nécessité de diminuer notre dépendance aux pesticides ou l’urgence de limiter radicalement l’impact de notre système agricole sur l’environnement. Cependant, cette croisade mur à mur contre les pesticides est contreproductive et irrationnelle. Si nous voulons réussir à protéger la santé publique et l’environnement tout en maintenant des rendements acceptables, il faut s’atteler à caractériser chaque situation de production (culture, sol, climat, pesticide, technique d’application, etc.). Il est surtout primordial d’analyser les solutions de remplacement (lorsqu’elles existent) et de s’assurer que nous gagnons au change côté environnement et santé publique, car il existe des contre-exemples consternants à cet égard.
Les géants de l’agroalimentaire ont souvent recours à des stratégies douteuses pour protéger leurs intérêts. Cependant plusieurs groupes environnementaux et ONG et certains journalistes se croient autorisés en vertu de leur bonne conscience à utiliser ces mêmes techniques déloyales et malhonnêtes d’un point de vue intellectuel. Qui a besoin des faits quand il y a les faits « alternatifs » ? Les gouvernements ont un rôle crucial à jouer dans l’amélioration de la production alimentaire et on ne saurait s’en remettre au marché pour cet enjeu central. Encore faut-il avancer prudemment et renoncer aux solutions simplistes et universelles même si elles sont réconfortantes et séduisantes. Monsieur, les auteurs si vous avez des propositions intéressantes et réalistes à nous proposer, le monde agricole est tout ouïe. Cependant, si ce n’est que pour répandre des demi-vérités ou des simplifications aberrantes d’un sujet si complexe, je vous prie de vous retirer du débat pour le bien commun.
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