La couverture médiatique du glyphosate  : peut-on faire mieux

En novembre 2018, une étude de l’Agricultural Health Study (AHS) réalisée auprès de plus de 54 000 (pas 200, pas 1 000) agriculteurs (pas des souris, pas des rats, mais des humains qui ont carrément le nez dans le glyphosate une grande partie de l’année) qu’on a suivis pendant 20 ans (pas 6 mois, pas 4 ans) a été publiée  : aucun lien (corrélation) n’a été trouvé entre le glyphosate et le cancer.  Cette étude épidémiologique prospective devrait faire réfléchir sérieusement les gens de bonne foi.

Pourquoi, de manière générale, les données scientifiques semblent-elles évacuées de la couverture médiatique grand public sauf si elles émanent de sources militantes anti-glyphosate ? Pourquoi, du moins dans les médias «  progressistes  », le quasi-consensus scientifique ne semble avoir aucune prise contrairement à ce qui se passe dans le dossier climatique ?

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tableau du site la chèvre pensante(à lire)

La fin (un monde sans glyphosate) justifie-t-elle les moyens et, si oui, qui en a décidé ainsi ? Bien sûr, les militants environnementaux et leurs groupes de pression ont leur place dans ce débat, mais où est passé le point de vue des agronomes, des toxicologues et des épidémiologistes ? Tous des vendus, tous des incompétents? Comment imaginer un média qui couvrirait le dossier des changements climatiques en «  faisant fi  » de l’avis des climatologues ou des rapports du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC)? 

Reprenons donc quelques éléments de certains des articles parus en janvier au Québec sur le glyphosate et voyons en quoi le traitement qu’ils accordent à ce dossier sensible est troublant.

Glyphosate: Santé Canada fait fi de l’opposition des groupes environnementaux (Le Devoir, 12 janvier 2019) 

L’expression «  faire fi de  » signifie dédaigner, mépriser, ignorer. Le ton est donné. Pourtant, Santé Canada loin d’ignorer les critiques a accepté de faire réévaluer les études contestées par vingt scientifiques qui n’avaient pas participé à l’évaluation initiale en 2017 (essentiel, car qui voudrait reconnaître qu’il a eu tort).  Pourquoi la journaliste n’a-t-elle pas jugé utile de valider les affirmations de la sociologue militante, Louise Vandelac? Ainsi, les lecteurs auraient sûrement apprécié de savoir que si on interrompt les études si tôt chez la souris c’est simplement pour éviter que leur grand âge (6 mois!) ne vienne brouiller les cartes. De toute manière, en général, les études réalisées chez les animaux de laboratoire et dont les résultats sont extrapolés à l’humain sont à manipuler avec des pincettes. Par ailleurs, le glyphosate serait aussi un perturbateur endocrinien selon madame Vandelac. Or, la communauté scientifique n’a toujours pas rendu son verdict à cet égard et, de ce fait, aucune agence de santé dans le monde ne le classe dans cette catégorie. Enfin, il aurait été prudent de lui demander d’où elle tient le chiffre de «  1% d’études indépendantes consultées par Santé Canada  » ou, du moins, ce qu’elle entend précisément par étude «  récente  ».

En tout respect pour madame Vandelac et son droit de parole, en quoi sa formation universitaire de sociologue lui confère-t-elle plus de crédibilité qu’à un citoyen informé quant il s’agit de pesticides, d’environnement ou de santé publique. Surtout, et on peut le regretter, la formation universitaire n’empêche pas le recours aux sophismes et autres erreurs de raisonnement. 

Glyphosate: pourquoi la cacophonie persiste sur l’herbicide controversé (Le Devoir, 21 janvier 2019) 

Le titre était neutre et factuel. Ça augurait bien. Malheureusement le journaliste d’enquête Stéphane Foucart retombe dans les ornières habituelles et son manque de rigueur qui est en voie de devenir sa signature. capture d_écran, le 2019-01-30 à 17.17.34Une simple recherche sur internet nous apprend que le chercheur dont il est question dans l’article, monsieur Benbrook, est généralement financé par le lobby anti-ogm (qui a tout à fait le droit de peser de tout son poids, mais qui est un lobby tout de même) et les géants de l’industrie du biologique.

Quoiqu’on pense des mérites du bio, il faut reconnaître qu’il a donné naissance à une industrie. Cette dernière a incité monsieur Benbrook à publier des articles critiques des insecticides et des OGM. Quel est le problème? Aucun, dans la mesure où on accepte sans sourciller que l’industrie agrochimique en fasse autant.

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À la fin de l’article, le journaliste nous informe que monsieur Benbrook est maintenant «  un des experts assistant des plaignants en procès contre Monsanto.  » Ce n’est pas anodin. Cependant ce conflit d’intérêt n’est certainement pas suffisant pour balayer du revers de la main la méta-analyse de Charles Benbrook. Jugeons au mérite. 

Comme l’étude est fraîchement publiée, on retrouve peu d’analyses sur internet. Cependant, un étudiant au  doctorat en science moléculaire des plantes a publié un commentaire (@matadon), dont voici un résumé.  Il constate que Benbrook a recensé toutes les études évaluées par l’EPA  et le CIRC  et les a classées selon qu’elles étaient en faveur ou en défaveur du glyphosate. Détail crucial  :  un seul résultat statistiquement significatif et défavorable au glyphosate parmi un nombre plus ou moins grand de résultats significatifs neutres ou favorables suffisait pour classer l’étude comme défavorable dans son ensemble.  Or, cet unique résultat défavorable ne contribuait pas nécessairement de manière déterminante à la conclusion générale de l’étude. On peut aussi se demander si un chiffre qui contraste avec les autres résultats d’une même étude n’est pas une simple aberration statistique. Enfin, Benbrook accorde le même poids aux petites et aux grosses études et ne tient pas compte du degré de sérieux et de validité de la méthodologie. Autrement dit, en gros, il a accordé le même poids à toutes les études sélectionnées pour sa méta-analyse.  Dans ces conditions, difficile de tirer grand-chose de cet exercice, conclut le doctorant. 

La crédibilité du CIRC (le glyphosate est un cancérigène probable) a souvent été remise en doute ces dernières années. On lui reproche d’utiliser une méthodologie dépassée, de pratiquer le cherry-picking (retenir les études qui nous confortent dans nos croyances et nos hypothèses) et d’avoir un manque de transparence au regard des conflits d’intérêt. Finalement, la question de fond posée par le journaliste est celle-ci  : pourquoi le CIRC fait-il bande à part en matière de dangerosité du glyphosate  ? Or, le débat ne se pose pas dans ces termes. En effet, le CIRC et l’EPA n’ont pas le même mandat et ne mesurent pas les mêmes choses. Tout comme l’ARLA , l’EPA est une agence de réglementation qui a le mandat d’évaluer le risque (risque = danger x expositions ) alors que le CIRC est un centre de recherche sur le cancer qui mandate des chercheurs, entre autres, pour déterminer le danger. Boire un «  ti-café-tim  » comporte peu de risque pour la santé( à moins peut-être de l’accompagner d’une boîte de Timbits). Par contre, ingérer en 15 minutes l’équivalent en caféine de 50 tasses de café est une autre histoire! Capture d’écran, le 2019-01-30 à 13.40.23.pngDans le dossier du glyphosate, on attendait du CIRC qu’il dise si le glyphosate posait un danger de cancérogénicité.  Pour sa part, l’EPA devait évaluer après analyse de centaines d’études et de rapports, dont celui du CIRC, si l’utilisation adéquate(lire réel) du glyphosate posait un risque.  Ironiquement, cancérigène «  probable  » ou «  non cancérigène  », la conclusion au sujet du «  risque  » demeurerait sans doute la même parce nous arrivons à limiter l’exposition (vêtements protecteurs, techniques d’application, normes de quantités résiduelles dans les aliments, etc.).  

Indéniablement, le conflit d’intérêts (argent, politique,  idéologie, etc.) est un problème criant en recherche tant du côté de l’industrie que du lobby bio. Cependant, saisir ce prétexte commode pour discréditer une étude  relève de la paresse intellectuelle ou du biais de confirmation. La réaction aux fameux  »Monsantos papers » en est un bon exemple. 

Limitons-nous à rappeler ceci  :

– l’industrie est pratiquement toujours impliquée dans les processus d’évaluation de ce genre et souvent à la demande des gouvernements. (On peut évidemment déplorer que la recherche publique soit de moins en moins bien financée.)

-si les sources sont mentionnées, on ne peut parler de plagiat

  -les rédacteurs techniques ne produisent pas des textes littéraires comme l’indique leur titre. Afin de ne pas avoir à réinventer la roue, ils ont recours au copier-coller pour faire état des données et des conclusions d’une étude. Leurs sources devraient bien sûr être clairement mentionnées.

– un seul cas probable de  »gost-writing » par un rédacteur anonyme a été relevé  :  difficile de parler d’une influence déterminante par rapport à l’ensemble de la littérature scientifique sur le sujet.

Pour toutes ces raisons, les «  Monsanto papers  » sont un non-événement qui a été monté en épingle. 

Comment croire que les biais cognitifs (tout ce qui fait que l’humain travestit l’information et la connaissance pour se sentir en harmonie avec lui-même) se retrouvent tous du côté de l’industrie des pesticides? Que notre jugement soit biaisé par l’argent ou une idéologie, la victime demeure toujours la réalité. Interrogé par Reuters sur les pratiques du CIRC, Bob Tarone, statisticien et directeur de l’institut international d’épidémiologie a bien résumé le phénomène  : «  C’est absurde d’affirmer qu’il n’y a pas

de problématique de biais relié à l’intérêt personnel, la réputation ou la carrière. Cela n’a rien à voir avec de mauvaise intention, c’est seulement la nature humaine  » (à lire!)

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Le rouage de la malscience (Jean-Claude St-Onge, Courrier des lecteurs, Le Devoir, 22 janvier 2019)

L’auteur souligne avec justesse que la science (sciences exactes, sciences humaines) traverse une crise de reproductibilité (la crédibilité de la méthode scientifique repose, en partie, sur le fait qu’on doit pouvoir obtenir des résultats similaires à ceux qui ont été obtenus par d’autres chercheurs avec le même protocole expérimental). C’est d’autant plus inquiétant que la plupart des journalistes n’ont malheureusement pas les compétences requises pour les critiquer et que les courts délais de publication font le reste.  

Mais bizarrement, monsieur St-Onge, dont l’intention avouée était de dénoncer les dérives de la science et de la désinformation, fait référence à madame Robin et à son livre Le Roundup face à ses juges. Or, si le nom de Stéphane Foucart indique que nous Unknownentrons dans le monde des simplifications outrancières et du militantisme intransigeant, celui de Marie-Monique Robin est synonyme de pseudoscience et de manipulation radicale de la vérité.

La position de monsieur St-Onge n’est pas très claire là-dessus, mai il semble cautionner la théorie de la manipulation des médias par Mosanto. Pour ma part, même si je ne prétends pas avoir lu tout ce qui a été publié dans les médias québécois, je soumets qu’une écrasante majorité des articles était défavorable au glyphosate, monolithique et sans nuance ou presque.  Le site La chèvre pensante  a analysé la couverture médiatique dans ce dossier  : on constate que les journaux de droite présentent une bien plus grande pluralité d’arguments que ceux de gauche. Ces derniers font également la part belle aux sources d’information «  militantes  ». La science a décidément du mal à se faire entendre ici comme ailleurs…

Gros remerciement à ma mère Odette Hélie qui m’a aidé à tout réécrire le texte pour que ça ressemble à un article et non à la section commentaire de Radio-Canada. (divulgation complète de conflit d’intérêt) Odette Hélie m’a logé et nourri  jusqu’à mes 19 ans 😉

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