Une impression de déjà vu?

La célèbre campagne de relations publiques menée par l’industrie du tabac dans les années 50 a marqué l’imaginaire. On croit souvent, à tort, que l’industrie a financé des recherches pour démontrer l’inexistence d’un lien entre cigarette et cancer. En fait, les tactiques déployées par les cigarettiers pour manipuler l’opinion publique étaient diablement plus raffinées et ingénieuses. La littérature scientifique de l’époque avait déjà bien établi la relation entre cigarettes et cancer. L’industrie a donc dû recourir à des tactiques cognitives éprouvées pour arriver à semer le doute dans la population.

Dans le dossier du glyphosate, la science, du moins à ce jour, nous affirme que ce pesticide s’il est judicieusement employé, ne pose pas de problème. À défaut d’avoir des appuis scientifiques solides, les opposants doivent donc recourir à l’infox. La lecture de  Inventing conflicts of interest: a history of tobacco industry tactics (Brandt AM., Am J Public Health. 2012) est très éclairante à ce sujet et on en ressort avec l’impression que la malhonnêteté intellectuelle n’est peut-être pas toujours là où on l’attend.

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Dès le début, la firme de relations publiques mandatée par les géants du tabac Hill & Knowlton avait bien compris qu’il était inutile de contester sur le fond la littérature scientifique qui incriminait le tabac.La tactique élaborée par John W. Hill,le directeur de l’agence, fut plutôt de mettre l’accent sur la valeur scientifique du scepticisme envers la science. Hill saisit rapidement l’importance daccroître de manière démesurée la présence médiatique des chercheurs dissidents qui n’adhéraient pas au paradigme généralement admis par la communauté scientifique. Cette stratégie fonctionna d’autant mieux que la plupart des journalistes n’avaient pas les connaissances scientifiques pour réfuter le discours des « experts ». L’industrie finança également des études pour tenter de mettre au jour les causes « réelles » du cancer comme le patrimoine génétique des fumeurs ou la pollution atmosphérique. La qualité de ces travaux importait peu, il suffisait qu’ils détournent l’attention des preuves épidémiologiques accablantes. « Notre produit c’est le doute » était le concept à la base de la stratégie de Hill.

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John W. Hill

Les recherches sur les animaux, recherches dont on extrapole ensuite les résultats aux humains, étaient évidemment favorisées et les sérieuses limites de ce type d’études, jamais mises en évidence. L’industrie fit appel aux chercheurs dissidents les plus en vue et constitua une petite communauté scientifique. Cette dernière, se disant motivée par la recherche de la vérité et du bien commun, monta un programme de recherche. Ces chercheurs jugeait, en effet, que les études publiées à ce jour n’étaient pas crédibles. C’était bien la preuve qu’on leur cachait quelque chose, non?

Retour au glyphosate. Une écrasante majorité des études épidémiologiques, dont une très imposante étude prospective menée sur 20 ans (publiée après le rapport du CIRC), conclut à l’absence d’un lien entre ce pesticide et le cancer. Le mouvement anti-glyphosate a-t-il fait porter ses attaques sur la méthodologie, les données brutes ou analysées ou encore les Capture d’écran, le 2019-02-06 à 15.09.12conclusions de ces travaux? Non, il se fait plutôt le porte-voix des sceptiques, peu importe la qualité de leurs données ou de leurs affirmations (l’affaire Séralini en est un exemple éloquent).

S’attaquer aux agences de santé publique dans le monde, semer le doute, manipuler le faux scandale des’‘Monsantos papers » : pourquoi s’encombrer de scrupules quand on se bat pour la vérité 

Des groupes écologistes, prédendant que les études appuyant l’homologation du glyphosate par Santé Canada étaient peu crédibles, ont récemment demandé une révision complète de ces études: le nouveau groupe d’évaluateurs est arrivé aux mêmes conclusions que le premier.Comment ce revers pour le mouvement anti-glyphosate a-t-il été présenté dans les médias? Comme une preuve du mépris de Santé Canada.

Tout l’accent médiatique est mis sur le CIRC, dont la conclusion (le glyphosate, cancérigène probable) repose en grande partie sur des études réalisées avec des animaux de laboratoire. De plus, l’industrie des produits bio ne finance-t-elle pas en grande partie des groupes de

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financement de Us right to know.https://usrtk.org/donors/

relations publiques, qui, à leur tour, publient et financent des études afin de discréditer le glyphosate en se présentant comme défenseur du bien commun? Le manque de culture scientifique générale (qu’est-ce que la méthode scientifique, avantages et faiblesses des différents types d’études, pourcentage absolu et relatif, etc.) de la plupart des journalistes ne représente-t-il pas un atout pour les détracteurs du glyphosate? Les médias ne deviennent-ils pas alors un puissant outil de diffusion de « faits alternatifs » qui sèment le doute et la peur dans la population? De là à croire que, pour eux :  notre peur est leur produit…Capture d’écran, le 2019-02-06 à 15.48.40

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En 1962, on demanda à John W. Hill de prouver que sa campagne de relations publiques avait été un succès. Il répondit qu’il suffisait de questionner des passants sur le dossier du tabac : il était certain qu’on retrouverait dans leurs propos une citation exacte tirée de la campagne de désinformation de son agence.

Que répondraient à la question suivante des passants pris au hasard sur la rue  : le glyphosate pose-il un risque pour la santé humaine?

Oui, vraiment, il y a des gens qui ont tiré des leçons de la stratégie de l’industrie du tabac.

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