L’ignorant affirme, le savant doute, le sage réfléchit.
Aristote
Depuis quelques jours circule sur les réseaux sociaux la publication que le restaurant Manitoba a adressé à des activistes vegans qui auraient laissé une note après avoir vandalisé les serrures de leur commerce. On peut bien vouloir décrier l’incohérence de certains arguments de ces militants spécistes ainsi que leur déconnexion flagrante aux réalités agroalimentaires, reste que la lettre de réponse fournie par Le Manitoba renferme son lot de sophismes et de vocabulaire douteux. Cette compétition d’étalage de supériorité éthique, morale et environnementale est selon moi complètement inutile et contre-productive. Partagée plus de 1300 fois et commentée au-dessus de 1000 fois, la publication a fait parler. Chacun a choisi son clan et personne ne semble avoir relevé les contradictions et le manque de perspective dans la réponse émise par Le Manitoba.

L’introduction de la lettre expose très bien d’où vient la source de ces nouveaux problèmes d’inquisition des temps modernes ‘’Nous sommes nombreux à vouloir nous exprimer sur la question de l’acte alimentaire’(…) malgré les divergences d’opinions et de manières, il y a du bon: nous sommes prêt à ce que les choses changent’’. En effet, les gens sont de plus en plus nombreux à s’exprimer sur les questions agroalimentaires. Malheureusement, bien peu sont outillés pour le faire correctement. Chacun espère des transformations, sauf que bien souvent ces idéaux de changement sont différents, voire complètement opposés. La direction à prendre est loin d’être évidente, c’est pourquoi se laisser une part de doute dans nos convictions est, selon moi, un conseil bien judicieux.
Le restaurant fait un effort considérable pour pouvoir se réclamer d’une supériorité éthique, morale et même spirituelle. On y parle de ‘’nourrir son esprit’’ et de valoriser ‘’chaque parcelle’’ en se connectant à ‘’elle’’. Selon le restaurant, leurs fournisseurs seraient des gens qui ‘’produisent tranquillement des légumes ancestraux et animaux de pâturage‘’ et les animaux ‘’ont eu une vie heureuse, entourée de nature et d’humains fondamentalement bons.’’

Avec l’appel à voir en ceux ’’ayant comme unique but d’accumuler du capital’’ ‘’l’ennemi commun’’ , leur lettre ressemble plus à un tract anarchiste qu’à une lettre rédigée par un restaurant haut de gamme. Il faut avouer que ça fait quand même sourire de se faire parler de ‘’décroissance’’ par un restaurant d’où l’on s’en sort difficilement en dessous de 100$ par tête.
Qu’on m’entende bien ici, je n’ai rien contre le restaurant Manitoba, j’y suis moi-même allé deux fois et j’avoue avoir adoré mon expérience. Même si l’on sursaute à l’arrivée de la facture, je crois bien que leurs prix sont justifiés considérant l’effort mis pour créer un menu original avec des produits inusités et de qualité supérieure.
Je n’ai aussi évidemment rien contre ce nouveau mouvement agricole qui prône l’agriculture à échelle humaine et de petite taille. La force et la résilience d’un système agricole reposent dans la diversité de techniques de production. Tant mieux si ces agriculteurs réussissent à trouver de la demande pour leurs produits de niche. Tant mieux si ce mouvement prend de l’ampleur et trouve preneur pour ces produits offerts à un prix qui reflète malheureusement la réalité de produire ‘’tranquillement’’. Il faut faire cependant attention de ne pas tomber dans une vision biaisée d’un système agricole d’image de pinte de lait.
Là où je trouve que leur lettre est complètement inappropriée, c’est dans leur positionnement éthique supérieur vis-à-vis de cette agriculture dite industrielle. Ce terme, bien pratique pour diaboliser tout type d’agriculture qui ne concorde pas à notre idéal de production agricole, reste un terme fourre-tout qui empêche toute nuance et distinction. Il est bon ici de se rappeler plusieurs points importants. N’oublions pas que plus de 97% des fermes au Québec sont des fermes familiales. Bien évidemment, beaucoup de ces fermes sont de grosses exploitations et il est important, pour reprendre l’analogie de l’image de pinte de lait, de ne pas tomber dans une vision romantique de la ferme familiale. Par contre, gardons en tête que ni la taille, ni la productivité et ni le revenu ne sont des indicateurs fiables en ce qui concerne le bien-être animal ou l’impact environnemental d’une ferme. Beaucoup de facteurs doivent être pris en compte pour comparer différents types de production et il est très difficile, voire impossible, de conclure à une supériorité absolue d’un mode de production sur un autre. Accuser les mégaproducteurs (terme encore une fois assez flou) d’être ‘’déconnectés’’ est bien ironique venant de ceux qui croient à la supériorité d’une agriculture et d’un type de restauration accessibles financièrement qu’à une infime proportion de la population. On se demande bien ici qui est le plus déconnecté.
Parler de pratiques ‘’assassines’’ que l’on retrouverait dans la plupart des abattoirs manque de maturité selon moi. Laissons ce lexique dramatique, inexact et sans nuance au démagogue et autres extrémistes de tout genre. Peu importe la taille d’un abattoir, je doute fort qu’on demande la permission à l’animal avant de l’abattre, et ce, même si on essaie de donner un aspect spirituel à l’acte. Ne jouons pas avec les mots.
Je trouve déplorable cette conclusion en fin de lettre qui espère voir ‘’l’énergie militante se déployer auprès des mégaproducteurs.’’ cela démontre une méconnaissance et un mépris total des réalités agricoles. Encore une fois, la grande majorité des fermes sont des exploitations familiales qui, comme dans le monde de la restauration, exigent de longues heures de travail pour des marges de profit bien faibles. Tout comme le restaurant Manitoba, ces entrepreneurs essaient bien évidemment de tirer un profit de leur exploitation. Cependant, la plupart sont avant tout dans le métier par passion et amour pour ce qu’ils font.
Les groupes de défense des animaux passent déjà à l’acte dans ces fermes que le Manitoba décrit. Ils ont d’ailleurs fait intrusion dans une porcherie le 7 décembre dernier et auraient supposément relâché une vingtaine de porcs fin octobre. Ces activistes n’ont aucune connaissance de ce qu’est la biosécurité et ne mesurent pas les conséquences dramatiques que pourrait avoir leur geste sur les animaux. Difficile aussi de comprendre comment on peut penser réduire la souffrance d’un porc d’élevage en le relâchant dans la nature fin octobre. Mais bon, je digresse ici. Je crois que les éleveurs ont déjà bien des soucis et d’autres sources de stress. Ils se passeraient bien d’avoir à se préparer à faire face à des intrusions et d’autres actes de vandalisme qui mettent leur entreprise et leurs animaux en danger. Souhaiter aux autres un malheur qu’on a nous-même subi est ‘’tordu’’ selon moi.



Tout comme ces militants vegans qui croient détenir la vérité et la supériorité éthique pour justifier leurs actions, les propriétaires du Manitoba auraient avantage à sortir de leur bulle idéologique. Netflix n’est pas le meilleur endroit pour s’informer et se faire une idée du monde agricole ou bien de l’élevage animal. J’invite l’équipe du Manitoba à aller à la rencontre de ceux qu’ils appellent les mégaproducteurs. Ils risquent d’être confrontés à une réalité bien différente de celle à laquelle nous exposent les médias. On leur expliquera peut-être tous les changements et les avancements qui ont eu lieu dans le monde agricole ces dernières décennies. Peut-être aussi qu’on leur expliquera l’impossibilité de ‘’retourner au mode agroalimentaire équilibré’’ car cette époque n’a jamais existé dans la courte histoire de l’agriculture. Oui nous voulons des changements, mais apprenons à discuter et comprendre la réalité des autres. Changer le monde agricole pour le mieux demande de grandes réflexions bien à l’abri des lettres ouvertes, réseaux sociaux et, bien entendu, de l’opinion publique. Diaboliser ce qu’on ne connaît pas et refuser de reconnaître la complexité de ces questions importantes revient à tomber exactement dans le même panneau que ces activistes extrémistes vegans.
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Sage réflexion, bravo! Il est essentiel et important de reconnaître à leur juste valeur les efforts faits par nos producteurs depuis plusieurs décennies pour améliorer le sort des animaux d’élevage. Les fermes d’aujourd’hui, particulièrement les fermes laitières, non rien à voir avec les entreprises dans lesquelles j’ai travaillé comme vétérinaire dans les années 70 et 80 et c’est tant mieux! Il reste du travail à faire, c’est certain mais contrairement à ce que pense bien des gens assez déconnectés des réalitées du monde agricole, on avance dans la bonne direction.
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