Il est né le divin enfant

Il existe pour chaque problème complexe une solution simple, direct et fausse.

H.L Mencken

Chaque fois que l’humanité se retrouve en situation de crise,  elle cherche toujours deux choses: un coupable et un sauveur. Pour la plupart des gens, vivre dans l’incertitude n’est pas une option et ils cherchent donc réconfort dans les solutions simples offertes par des gens qui  ont dépouillé les problématiques de leur complexités. Je ne sais plus combien de fois j’ai écrit ce genre de phrase mais je le répète,  les solutions simples aux problèmes complexes n’existent pas. Méfiez-vous des gens qui prétendent le contraire. Ils sont soit d’une grande paresse intellectuelle ou ont une formation ou un livre à vous vendre.

Le coupable

Pas besoin de mise en contexte, nous vivons en ce moment une crise importante. Chacun, selon son idéologie, trouvera le coupable qui convient à sa vision du monde. Ce seront les Chinois pour certains, l’exploitation animale pour d’autres ou encore Bill Gate et son agenda diabolique. Il y a aussi la version écolo, au penchant panthéiste, qui voit en cette crise un message que mère Nature nous enverrait pour nous remettre sur le droit chemin, comme si nous devions mériter la bonté de cette force divine. Bien évidemment, on en profitera aussi pour blâmer l’agriculture industrielle et faire la promotion d’un mode de production qui ne serait plus basé sur le productivisme, mot qui répugne à bien des gens. S’il est vrai que l’empiètement de l’homme sur les écosystèmes augmente le risque de zoonose, ne serait-il donc pas logique d’avoir des objectifs d’intensification de notre agriculture et non le contraire? Poser la question c’est y répondre.

En Occident, nous vivons depuis bientôt presque trois générations dans une abondance alimentaire jamais vue auparavant. Beaucoup de gens ont tenu cette situation pour acquise. Très peu ont réfléchi à la complexité de l’organisation derrière ces étalages bien remplis d’aliments nutritifs à bon marché. Il est vrai que cette abondance apporte son lot de problèmes pour l’environnement et la société. Il est donc compréhensible que beaucoup en viennent à vouloir révolutionner le système agricole dit industriel en proposant un modèle alternatif. Cependant, en venir à vouloir balayer du revers de la main la production agricole moderne  implique trois choses:

-Premièrement, ignorer les avantages énormes qu’ont apportés ces modes de production pour une grande partie de l’humanité.

-Deuxièmement, ne pas réfléchir de façon sérieuse à savoir si le remède proposé ne serait pas globalement pire que la maladie qu’on tente de soigner.

-Troisièmement, de ne pas tenir compte de la nature humaine et de certaines contraintes économiques ( alias la pensée magique)

Depuis les dernières années, l’agriculture a occupé une place importante dans nos médias. L’attention était bien souvent portée sur les pesticides.  Par contre, au début du mois de mars dernier, lorsque certains consommateurs ont vu pour la première fois de leur vie des étalages d’épicerie complètement vides, les priorités ont changé.  L’inquiétude qu’engendraient les microgrammes de résidus de produits phytosanitaires a bien vite été reléguée au second plan. C’est avec une petite boule au ventre que beaucoup d’entre nous  se sont mis à réfléchir au concept de sécurité, autonomie et souveraineté alimentaire. Plus que jamais auparavant, le besoin d’un prophète qui nous montrerait le chemin à suivre pour accéder au jardin d’Éden devenait une nécessité.

Le sauveur

Une amie m’a envoyé récemment une vidéo que l’agriculteur-vedette Jean-Martin Fortier avait partagé sur ses réseaux sociaux. Connaissant mon opinion plutôt défavorable de ce personnage public, elle était tout de même curieuse de savoir si le message qu’il véhiculait dans cette vidéo tenait ou non la route. C’est toujours bien frustrant et problématique pour moi lorsque je dois formuler une réponse à ce genre de questionnement. Je deviens jaloux de la capacité de certains  à avoir une idée claire et tranchée sur un sujet si complexe. À l’aide de phrases percutantes dignes des meilleures boites de marketing, des gens comme monsieur Fortier ont le luxe de pouvoir faire fi de bien des réalités et se permettre de vendre une image romancée et trompeuse de leur solution miracle. Très charismatique, plutôt beau gosse et souvent habillé comme une rock star, il a tout pour plaire. On adore se faire bercer par ses belles paroles qui représentent une lueur d’espoir en ces temps sombres. Bien évidemment, je ne suis pas toujours en désaccord avec ce que peut dire Jean-Martin Fortier.  Vouloir changer le modèle actuel et aspirer à une certaine autonomie et souveraineté alimentaire sont des objectifs louables et valables selon moi. Il faut cependant se garder une bonne dose de réalisme et avoir parfois le courage d’affronter les données et les évidences même si elles contrarient nos idées reçues.

Le sauveur

Après cette longue introduction, force est de constater que ma réponse sera longue et fastidieuse. Elle sera donc répartie sur plusieurs textes, les plus courts possible. Alors, à toi mon amie qui voulait savoir mon opinion sur le vidéo de Jean Martin Fortier, tu devras t’armer de patience. J’essaierai de t’éclairer du mieux que je peux. Par contre, je t’avertis, tu ressortiras de mes textes avec beaucoup plus de questions que de réponses. Les petites fermes, la résilience, la souveraineté et l’autonomie alimentaire seront au menu. Sté tioune, comme disent les Anglais.

la suite:

2/4-Jean-Martin Fortier au festival des «Oui mais… »

3/4 :L’agriculture écologique n’est pas une question de feeling

4/4: à venir…