Le rêve de tout journaliste c’est de dévoiler au public une information qui débouchera éventuellement sur un quelquechose-papers ou alors patente-gate, il aura alors l’impression d’avoir marqué l’histoire. Que nous ont offert les médias cette semaine? Le buttergate. Belle tempête dans un verre de lait. J’ai du mal à comprendre en quoi le fait d’utiliser des ruminants pour faire ce qu’ils font de mieux, c’est-à-dire transformer un résidu sans grande valeur pour en faire un produit à haute valeur nutritive, est scandaleux. Réutiliser des déchets de l’industrie de l’huile de palme (palmite) pour en faire du lait me semble une belle façon de revaloriser cette matière. Le gros problème serait, qu’apparemment, le beurre serait légèrement plus ferme à la température de la pièce. C’est le genre d’inconvénient à classer dans la catégorie first world problem.

Le client a toujours raison
Pour tenter de préserver la perception positive des consommateurs envers les produits laitiers, les transformateurs de lait ont choisi de tourner le dos aux agriculteurs et aux données scientifiques. Rien n’indique qu’incorporer de l’acide palmitique à la ration des vaches pose un problème. Si on peut comprendre leur motivation, on peu déplorer leur manque de courage. Voilà une belle occasion ratée d’informer correctement le consommateur. Il faut savoir qu’on consomme beaucoup d’huile de palme sous plusieurs formes, ce qui se traduit inévitablement par une quantité phénoménale de sous-produits d’extraction. Heureusement, ces derniers sont en partie revalorisés par le rumen de nos vaches. Cette montagne de sous-produits est le résultat des choix du consommateur. En d’autres mots, avant de vous indigner de cette pratique, regardez le contenu de vos paniers d’épicerie. Cette incohérence a été relevée dans plusieurs articles ces derniers jours. Je vous conseille ainsi la lecture du cri du cœur d’un producteur laitier, qui explique très bien son agacement profond face à ce faux scandale: « Maintenant, parlons un peu de votre indignation »
Plusieurs de ces textes, qui réclament, avec raison, d’aller au fond du débat, soulignent que les choix du consommateur sont en partie responsables du problème. Même s’il semble y avoir unanimité à condamner la culture de l’huile de palme et souhaiter sa disparition, j’aimerais aller au fond de la question afin de déterminer si, la mort de cette industrie est réellement souhaitable. Comme bien des débats agroalimentaires, la réponse est la suivante: cela dépend, c’est compliqué car il n’y a pas de solution unique et il y a beaucoup de compromis à faire. Vous l’aviez vu venir, non?
Petit portrait de l’industrie
En 1961, 95% des 3.62 millions d’hectares de culture d’huile de palme se trouvaient en Afrique. Dans les décennies qui ont suivi, pour répondre à la demande d’une population mondiale en croissance, la production a explosé pour passer à 20 millions d’hectares. Le gros de cette expansion s’est faite en Indonésie et en Malaisie. Ces pays représentent maintenant environ 66% des superficies de production et 85% du marché mondial d’exportation. Évidemment, une croissance d’une telle ampleur en l’espace de quelques décennies ne se fait pas sans conséquence. L’expansion des superficies de culture d’huile de palme s’est souvent faite au détriment des forêts tropicales, qui sont des habitats essentiels pour une faune et une flore très diverses. L’orang-outan est devenu le symbole de cet empiètement sur ces habitats. On a associé la culture d’huile de palme à la déforestation et à la destruction de ces régions. Cependant, il faut comprendre que la réalité et donc les conséquences de cette industrie varient énormément selon le pays ou les régions: l’huile de palme est responsable de 47% de la déforestation en Malaisie mais seulement de 16% en Indonésie.1 En Amérique latine, 80% de l’expansion des plantations de palmiers se font sur d’anciens pâturages ou des terres déjà en culture.2
De plus, ces statistiques de déforestation doivent être nuancées, car tous les hectares de forêt ne s’équivalent pas. En effet, il faut prendre en compte le degré de maturité d’une forêt qui fait varier énormément la quantité de carbone séquestré dans la biomasse. Il faut aussi analyser le potentiel d’une forêt à abriter une biodiversité riche, unique ou menacée. La disparition de certaines forêts est dramatique alors que pour d’autres les conséquences sont moins grave.

Évidemment, dans un monde idéal il n’y aurait pas de déforestation. Mais l’idéal et la réalité se rencontrent très rarement. La réalité est que ces 20 millions d’hectares d’huile de palme produisent une quantité importante de calories, dont 70% servent à l’alimentation. Si on souhaite la fin de l’huile de palme, il faut alors expliquer par quoi ces calories seront remplacées.3 De plus, ce commerce lucratif est une source importante de revenu dans ces régions du monde où l’extrême pauvreté reste une réalité pour la majorité de la population rurale.
Hommage à l’huile de palme
La production d’huile de palme a de nombreux avantages. On extrait 3 à 7 fois plus d’huile à l’hectare que les autres productions d’huile telle le soya, le canola ou huile de tournesol. Éliminer les problèmes de déforestation en Asie du Sud en limitant la production d’huile de palme risque de simplement amplifier et déplacer le problème vers d’autres régions du monde. Sauver un hectare de forêt en Asie du Sud, si c’est pour en perdre quatre en Amazonie pour faire du soya, ce n’est pas gagnant en terme environnemental. Environ 40% de l’huile produite dans le monde provient de l’huile de palme, mais elle ne représente que 10% des superficies utilisées à la production d’huile.

Pour bien contextualiser les conséquences de la culture de l’huile de palme, il ne suffit pas de la mettre toujours en comparaison à une forêt, mais aussi en opposition aux autres productions dans ces régions. Car dans bien de ces coins du monde, c’est la culture du caoutchouc qui est la principale menace pour les forêts et les écosystèmes.4 Dix ans de consommation occidentale moyenne d’huile de palme requièrent environ 1.9% d’hectare par habitant alors que posséder une auto pendant 10 ans demande environ 1,6% à 4% d’un hectare pour produire le caoutchouc nécessaire pour les pneus. Se nourrir est un droit fondamental, l’auto individuelle, par contre, ne l’est pas(685 autos par 1000 habitants au Canada).
De plus, étant donné que les palmiers demeurent plusieurs années en place, l’érosion des sols est limitée en comparaison à d’autres cultures annuelles. La production d’huile de palme demande peu de pesticides ce qui est un grand avantage pour les travailleurs agricoles de ces régions du monde où les normes de sécurité ne sont pas toujours très rigoureuses.
La production d’huile de palme est aussi un excellent moteur de croissance économique et aurait permis de réduire de moitié la pauvreté dans les régions productrices d’Asie du Sud.5 De plus, les petites fermes familiales de moins de 5 hectares représentent 40% de la production en Indonésie et en Malaisie et 70% en Afrique.1 L’huile de palme rapporte plus que bien d’autres cultures et demande moins de main-d’œuvre. Dans bien des cas, cela se traduit par plus d’enfants sur les bancs d’école 1. Il doit être bien agaçant de se faire dire par des pays riches, qui ont eux-mêmes rasé leur propre forêt au fil des siècles, que, malheureusement pour eux, ils doivent aujourd’hui renoncer à exploiter leurs ressources pour se sortir de la misère.

Moins de pires plus de mieux
Cela nous amène finalement au fond du fond de cette réflexion qui a débuté sur un comptoir de cuisine avec une motte de beurre prétendument plus ferme qu’à l’habitude. La question est la suivante: comment pouvons-nous réduire ou éliminer la déforestation tout en répondant à la fois à la demande d’huile végétale et en réduisant par le fait même l’extrême pauvreté? Heureusement, il existe plusieurs pistes de solutions très prometteuses. Aucune de ces solutions n’est parfaite, mais mises ensemble, elles ont un vrai potentiel pour atténuer les impacts de cette industrie.
La première est de bien répertorier et analyser les écosystèmes pour déterminer les zones à conserver prioritairement . Ensuite, il faudra déterminer les zones où le développement de l’industrie occasionne le moins d’impacts comme les champs en friche, les anciennes plantations de caoutchouc, les forêts à faible valeur écosystémique et au potentiel d’émission de carbone limité. La fondation High carbon Stock approach (HCSA Foundation) fait un travail essentiel dans ce domaine. (si intéressé, voir la vidéo ci-dessous)
Deuxièmement, il est important de planifier correctement pour réduire au maximum le morcellement des écosystèmes et planifier en mosaïque le territoire de manière à ne pas avoir d’immenses étendues de plantation intensive. Une zone de transition entre cultures et forêt peut être aménagée en incluant des zones moins intensives où la cohabitation graduelle avec la faune est planifiée. Les pertes de rendement de ces zones sont compensées par les bienfaits d’une transition graduelle entre la production intensive et la forêt.
La dernière et non la moindre est bien évidemment l’intensification à l’hectare. Mondialement, on sort en moyenne quatres tonnes d’huile à l’hectare, mais cette moyenne cache un potentiel de rendement inexploité. En effet, avec des pratiques de culture optimales, on peut produire 8 tonnes et même 12 tonnes d’huile à l’hectare, certains parlent même d’un potentiel théorique de 18.5 tonnes.6 Cette grande différence de rendement (yield gap) n’est pas toujours simple à expliquer, mais c’est en grande partie dû au fait que les petits producteurs n’ont généralement pas les meilleurs outils agronomiques pour cultiver de façon optimale. L’intensification passe par un meilleur accès aux intrants (engrais, produits phytosanitaires) et par le transfert des meilleures pratiques agronomiques selon la région et la ferme. La recherche pour développer de meilleurs palmiers est primordiale. Les nouveaux outils d’édition génomique comme CRISPR-Cas 9 sont extrêmement prometteurs à cet égard. 7
L’organisme Roundtable on Sustainable Palm oil (RSPO) émet une certification aux productions d’huiles de palme faites de façon durable et responsable. En ce moment, 20% de la production est certifié, mais malheureusement seulement 10% trouvent des acheteurs prêts à en payer le prix légèrement plus élevé. La moitié de l’huile certifiée finit donc sur le marché régulier sans option de compensation pour l’agriculteur qui l’a produite de façon adéquate. Par contre, il est important de mentionner que la certification RSPO n’a pas toujours été à la hauteur de ses promesses et que son bilan est mitigé8. La RSPO reconnaît une partie de ses torts : ses procédures et ses exigences sont en voie d’être resserrées. La plupart des détracteurs du RSPO reconnaissent néanmoins l’importance d’une certification et encouragent simplement l’organisme à faire mieux. La solution n’est pas de boycotter l’huile de palme et encore moins de s’indigner du fait que nos vaches en mangent les résidus d’extraction. Moins de pires et plus de mieux, c’est toujours ça le fond du fond de tout débat.
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1: https://www.annualreviews.org/doi/pdf/10.1146/annurev-resource-110119-024922
3:Probablement qu’en Occident une bonne partie de ces calories pourrait simplement ne pas être consommée étant donné que cette huile se retrouve généralement dans les petites gâteries qui contribuent à la surconsommation calorique dans nos sociétés. Mais ça, c’est le fond du fond d’un autre débat. De toute façon, ce n’est pas en éliminant l’huile de palme pour la remplacer par une autre huile qu’on va arrêter de vider un paquet de biscuits en une soirée.
5:https://www.sustainablepalmoilchoice.eu/would-banning-palm-oil-really-improve-sustainability/
6:https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S1161030116302131
7:http://jopr.mpob.gov.my/wp-content/uploads/2018/01/2jopr29dis17-zulkifli.pdf
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