Humus et la quête du Saint-Graal

Depuis l’invention de l’agriculture, l’humain a toujours été à la recherche de cette terre mythique auto fertile et inépuisable. Un jardin d’Éden en équilibre avec la nature qui produirait avec un minimum d’interventions, moisson après moisson, une récolte abondante. Ce que nous offre le nouveau film de Carole Poliquin, Humus, est le portrait d’un de ces hommes en quête de la terre promise.

Le film s’ouvre sur une scène de déversement d’une montagne de compost sur la ferme de l’agriculteur François D’Aoust. Ce maraîcher biologique, qui vend ses paniers de légumes à Montréal, nous informe qu’il devra commander de cinq à huit camions supplémentaires durant la saison pour subvenir aux besoins de ses cultures.  Le protagoniste du film nous explique alors qu’en s’inspirant de la nature ainsi qu’en créant sa propre fertilité, il espère, d’ici trois ans, ne plus dépendre d’aucun intrant.

Malheureusement, tant et aussi longtemps que les égouts du Plateau Mont-Royal ne se déverseront pas dans les champs de l’agriculteur, les 10 roues de compost devront poursuivre leurs livraisons annuelle. Car depuis toujours, tout agriculteur ayant tenté l’expérience de créer sa propre fertilité en est venu à la même conclusion: tôt ou tard, tout ce qui sort d’un champ doit être remplacé. On n’y échappe pas : se nourrir est un acte extractiviste. On peut certes ralentir l’extractivisme d’une production agricole et s’éloigner de cette mentalité qu’on nomme souvent avec mépris le productivisme. Conserver la fertilité du sol sans intrant sera alors plus facile. Il faudra toutefois reléguer à d’autres la tâche d’exporter les nutriments de leurs fermes vers les villages et les villes de ce monde. Se nourrir reste malheureusement encore à notre époque une activité indispensable à l’homme, qu’il soit productiviste ou non.  

Les clients de ce maraîcher pourraient bien rapporter leurs déjections de la semaine en échange de leur panier de légumes. Cela aiderait grandement à retourner des nutriments aux champs. Sauf que, premièrement, je ne crois pas qu’accumuler son caca et son urine de la semaine pour ensuite le balader sur la rue Laurier serait un concept bien populaire auprès de sa clientèle. Deuxièmement, cette boucle des nutriments n’est pas parfaite : les pertes sont inévitables (volatilisation, lessivage, etc…) et donc les ajouts éventuels de nutriments, incontournables.

Dans le film, une intervenante propose même à notre maraîcher de ne pas récolter une partie des courges au champ, le but étant de laisser des nutriments aux courges de l’année suivante. La logique de cette intervention m’échappe.

La nature est bienveillante jusqu’à temps ‘’ka gosse’’

Les deux maraîchers du film de François D’Aoust et sa conjointe Mélina Plante nous expliquent à plusieurs reprises l’importance de s’inspirer de la nature pour créer une ferme en équilibre écologique. « Si on crée les conditions, dira la maraîchère, la vie s’installe ». Le problème c’est qu’elle ne s’installe pas toujours là où on veut. Le documentaire nous en donne un bon exemple lorsqu’un couple de castors décide de s’installer dans le petit paradis créé par les maraîchers. Très vite, plusieurs de leurs champs seront inondés. François D’Aoust devra donc se résoudre à démanteler le barrage de ces deux bêtes travaillantes. L’homme, visiblement ébranlé d’avoir à intervenir dans cette nature bienveillante, laisse tout de même quelques champs aux castors. L’histoire ne dit pas si les bêtes respectent ce pacte de non-agression, mais quand on connaît bien la ténacité de ces rongeurs, on peut se douter du dénouement. Je vous évite les détails.

Il y a aussi cette réflexion philosophique que Mélina Plante partage avec nous lorsqu’elle apprend qu’on décrit la chenille qui dévore ses plants de choux comme une espèce ravageuse. Elle est choquée par ce terme purement anthropocentriste pour décrire un insecte. Anthropocentriste, peut-être, chou-centriste et ventre-plein-centriste, certainement ! La réalité est que cette nature bienveillante sous forme de chenille n’est pas à la bonne place et qu’elle est en train de manger notre lunch.

L’agriculture ça sert à quoi?

Le vieux mythe de l’équilibre de la nature et le concept de s’inspirer des écosystèmes sauvages pour créer des fermes écologiques revient à maintes reprises dans le film. On entend souvent que tout ce qui est sauvage n’a pas besoin d’être entretenu et se reproduit sans aide.  Sauf que, contrairement à l’agriculture, le but de la nature n’est pas de nous nourrir. S’inspirer de la nature pour améliorer l’agriculture n’est pas nécessairement une mauvaise idée. Cependant, il faut garder en tête que l’agriculture n’a rien de naturel. C’est une pure invention de l’homme et, de manière générale, plus une ferme ressemble à un milieu naturel, moins elle produira de nourriture à l’hectare. Sinon, pourquoi les agriculteurs se seraient-ils donné, depuis toujours, tout ce mal pour maintenir des plantes qui ne demandent qu’à mourir.

Alors le film, il est bon?

La réalisatrice, Carole Poliquin, fait partie de cette longue liste de gens à avoir un jour pris le temps de s’intéresser au monde agricole et à avoir réalisé avec effroi les impacts (souvent exagérés, mais bien réels) que l’agriculture moderne a sur notre Terre si fragile. En quête d’un autre modèle, elle est tombée dans le piège de la pseudoscience agronomique, des solutions faciles et de la pensée magique. (been there done that). Comme bien d’autres réalisateurs, journalistes et auteurs, elle a cru, elle aussi, à ces fictions séduisantes qui font fi des réalités, des contraintes et des multiples compromis inévitables pour nourrir l’humanité. Ce documentaire n’est donc pas ce que je conseillerais pour s’informer ou trouver des pistes de solution.  Par contre, si on réussit à faire abstraction du fait que 90% de ce qui sort de la bouche des intervenants dans le film constitue un non-sens agronomique,  alors le film en vaut la peine. C’est une belle incursion dans la vie de ce beau métier de maraîchers sur petite surface. Les images du petit paradis créé par le couple sont souvent d’une grande beauté et la musique épouse parfaitement le rythme apaisant du film. François D’Aoust est particulièrement attachant : il n’y a que bonté, générosité et pureté d’intention dans cet homme. C’est l’histoire d’un humain qui a tout lâché pour se lancer corps et âme dans un projet auquel il croit. On comprend ses craintes, ses frustrations et sa solitude. Ce film aurait pu être du grand cinéma si on avait laissé parler les images au lieu des intervenants malheureusement bien mal informés qui, à leur tour, perpétuent de fausses bonnes idées. Décidément, les vieux mythes ne sont pas près de mourir et notre maraîcher ne sera pas le dernier à s’épuiser à la tâche d’essayer de recréer le jardin d’Éden.

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